Edito de l'indépendance - Adoubé par l'Allemagne

Publié le par Ramos

Que tout aille vers le pire, on s'y est habitué ; mais si vite, cela donne le vertige ! Aussitôt élu, le nouveau Président de la République partit donc au large de Malte pour " habiter " sa fonction dans la conception qu'il en a, c'est à dire sur un yacht prêté par un magnat de ses amis. Quand à l'investiture, la poignée de mains aux anciens combattants sous l'arc de triomphe ne fut qu'une formalité, la descente des Champs Elysées un vieux folklore vaguement provincial : aussitôt, il s'envola pour Berlin et reçut de la Kaiserin Angela l'onction du saint Chrème ; à quoi d'autre servit l'escapade germanique du premier jour ? Voici, comme aux temps du saint Empire, le Président adoubé en Allemagne...

L'instinct de vassalité

Une providence facétieuse a voulu que la présidence de l'Union européenne soit en cette circonstance dévolue à l'Allemagne. Eloquent symbole : L'instinct de vassalité dont témoigne M. Sarkozy rappelle les grandes heures de l'Empire central dont la France consentit tant d'efforts pour se défaire depuis les Othon et les Habsbourg, puis d'autres. Las ! Comme il arrive souvent, le symbole ne fait que cacher une réalité : le nouveau Président a d'ores et déjà consenti au nouveau traité " européen ", qui, prudemment, ne sera pas constitutionnel par son nom mais qui le sera dans son contenu, traité que la même Mme Merkel concocte depuis des mois attendant patiemment que les Français du "Non" placent à la tête un homme qui, paré d'une toute neuve légitimité, dise "Oui" à leur place. C'est fait ; l'Allemagne triomphe, et l'on ne parle plus à Paris que de sortir l'Europe de " l'impasse ", pour reprendre les termes des nouveaux responsables français des affaires européennes, MM. Kouchner et Jouyet - deux socialistes, curieusement, et, surtout, deux fédéralistes convaincus. Mais tel est depuis toujours celui qui, alors président de l'UMP, proclamait lors de la campagne référendaire : " on n'a pas le droit de dire Non " et qui, tant sont distraits ou malléables les Français, est depuis lors devenu Président de la République…

Ah, certes, les " nonistes " étourdis qui ont accordé leurs suffrages à Nicolas Sarkozy, et ceux qui les ont appelé à le faire, portent une lourde responsabilité. C'est avec leurs voix que M. Sarkozy négocie le compromis qui ne manquera pas d'éclore lors du Sommet européen des 21 et 22 juin. Certes, on prendra la précaution de débarrasser le texte des symboles les plus voyants de la supranationalité, le ministre des Affaires étrangères de la Constitution Giscard sera "Secrétaire aux Affaires étrangères", l'article sur les symboles de l'UE, hymne et drapeau, disparaîtra comme déjà superflu ; certes, le texte sera court ne comportant que les dispositions essentielles d'un ensemble fédéral, soit le principe des décisions prises à la majorité qualifiée et la supériorité du droit bruxellois sur toute norme nationale ; certes le titre II (dit "Charte des droits fondamentaux") ne sera qu'optionnel pour certains de ses articles, et, quant au titre III sur les politiques économiques et sociales, il sera ensuite facile à adopter par les mécanismes supranationaux ainsi mis en place (voir nos dernières informations pages 2, 3 et 4).

Telles sont, à ce que les parlementaires européens peuvent aujourd'hui apercevoir, les grandes lignes du texte qui sera adopté au Conseil de juin, mis au point lors d'une rapide Conférence Intergouvernementale (CIG) réunie sous présidence portugaise, et finalement signé avant la fin de l'année, vraisemblablement à Lisbonne. Viendra alors, au 1er janvier prochain, la présidence française et l'on ne doute pas que nos parlementaires auront à coeur de montrer l'exemple en autorisant parmi les premiers sa ratification. Le scénario est en place et il est d'autant plus prévisible que Nicolas Sarkozy l'a annoncé depuis un an, ne faisant que prendre la précaution de dire, lors du débat télévisé le confrontant à Mme Royal, qu'il n'y aura pas de Constitution européenne - ce qui est vrai dans la forme mais faux quant au fond, et tient de la ruse verbale de haut vol (comme un certain "Je vous ai compris" du général de Gaulle...). Du moins les électeurs de M. Sarkozy ne pourront pas dire qu'ils n'étaient pas prévenus !

Un avenir radieux

Tout n'est pas joué pour autant, sinon à court du moins à moyen terme. Si le nouveau Président français a magistralement compris qu'il ne serait élu qu'en captant les voix de la droite nationale, ce sur quoi il se trouva contraint d'insister en fin de campagne par la vive concurrence de M. Bayrou, et si, ce faisant, il priva ladite droite de la moitié de ses voix, les masques semblent vite tomber : la composition des " équipes " le confirme, tandis qu'on pavoise, à Bruxelles, Berlin et Washington en célébrant la "normalité retrouvée" de la politique française. Mais, en oubliant déjà son aile nationale, en multipliant les signaux à son antipode, cette "gogoche" mondialisée que symbolise M. Kouchner (qui fut l'un des rares partisans en France de l'invasion de l'Irak, et de l'entrée de la Turquie dans l'UE), M. Sarkozy prend de gros risques.

Le paradoxe du jour est en effet lourd d'orages ; à la faveur du débat présidentiel, l'hégémonie intellectuelle qui s'installa dans les années 70 dans la foulée de 68, et qui a duré trente longues années, fut une bonne fois pulvérisée, comme le 29 mai 2005 en avait déjà donné le signal : on peut de nouveau parler de nation, d'autorité, de discipline, et de ce qu'il est convenu d'appeler " l'identité ", c'est-à-dire la volonté pour la France de rester ce qu'elle est, un Etat souverain, une nation à la voix indépendante, une civilisation singulière. Mais, après avoir si bien paru épouser cette cause, M. Sarkozy a ouvert les vannes à de puissantes eaux sur lesquelles, Union européenne oblige, il ne pourra surfer longtemps ; elles pourraient bientôt le déborder largement sur la droite : les souverainistes auront alors beaucoup d'eau sous la coque - et cela d'autant plus vite que tout montre déjà, trois semaines après son élection, que M. Sarkozy n'a guère compris " la rupture " tant promise aux gogos autrement que dans le style : finie la solennité de la République, dépassés les rites et les emblèmes de la France, réduite au rang de province ! Désormais, nos as de la gouvernance font du jogging !

Paul-Marie Coûteaux

Publié dans Europe

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